Ce texte [Acte 1, scĂšne X], appartient Ă De par la ville de par le monde, un roman en cours d’Ă©criture, en six actes et soixante-douze scĂšnes, qui traite de la figure d’Auguste dans l’Empire romain et au-delĂ , sporadiquement mis en ligne ici… et exposĂ© lĂ .
Déjà ou encore seul, Auguste est allongé et songe.
Octave est avec Jules, en Espagne. Les commentaires vont bon train. Octave est vu d’un mauvais Ćil par les soldats, et parmi eux par les grognards, les vĂ©tĂ©rans, ceux de la Gaule chevelue (il en reste, qui n’ont pas occupĂ© leur lopin de terre). On dit que le neveu passe dans la tente du grand-oncle. On dit que l grand-oncle passe dans la tente du neveu (LAV 10.1).
Auguste n’aime pas cela.
Octave est avec Marc, en Macédoine. Les commentaires vont bon train, etc. Agrippa est tellement meilleur que lui ! Comment pourrait-il lui survivre ! (LAV 10.2)
Auguste n’aime pas cela.
Octave est avec Antoine, ils se trouvent Ă Tarente, pour maquiller une espĂšce de paix dans un mouchoir de poche, Ă©vacuer LĂ©pide et feindre la non agression. Antoine a commandĂ© un Ă©touffĂ© de poulpes Ă l’encre de seiche (Pseudo-Rufus, XXXIX 39-41). Trois ans plus tĂŽt, ils s’Ă©taient retrouvĂ©s Ă Brindes, il s’Ă©taient dĂ©jĂ repartagĂ© l’empire Ă venir, flanquĂ© LĂ©pide au sud, et validĂ© la perte de la Gaule par Antoine (ce n’est pas rien, un pont entre l’Italie et l’Hispanie) ; cela s’Ă©tait soldĂ© par la fĂȘte du peuple (Pseudo-Rufus XXXVIII-123, Nicolas de Damas) et le mariage d’Antoine Ă Octavie. Octavie n’a pas aimĂ© cela.
Auguste rĂȘve : il est Ă nouveau Ă Brindes, cette fois avec Virgile, mourant. On est en 19BEC, quinze ans plus tard la fin d’Antoine. Ils dissertent. Auguste voudrait que l’EneĂŻde parĂ»t. Virgile est rĂ©ticent, le poĂšme est inachevĂ©. Il veut le dĂ©truire.
(Virgile n’aime pas Auguste).
C’est dans Broch.
(Auguste)  » C’est le premier instant de libertĂ© qui m’est accordĂ© depuis l’arrivĂ©e au port, et je suis heureux de pouvoir te le consacrer. Brindisium m’a toujours portĂ© bonheur ainsi qu’aux miens.
(Virgile) » C’est Ă Brindisum que, jeune homme de dix-neuf ans, tu pris possession de l’hĂ©ritage de ton divin pĂšre; c’est Ă Brindisium que tu conclu avec tes adversaires le traitĂ© qui t’ouvrit le chemin de ton rĂšgne bĂ©ni; cinq annĂ©es seulement sĂ©parent ces deux Ă©vĂšnements, il me souvient.
(Auguste)  » Ce furent les cinq années qui séparent ton Culex de tes Buccoliques ; mais tu as dédié celles-là à Asinius Pollo, qui a donc été bien plus favorisé que moi, -si méritée que fut cette faveur, -tout comme MécÚne a mérité la dédicace des Géorgiques car sans eux il y a peu de chances que le traité de Brindisum eut été conclu aussi favorablement.  »
Que signifiait le lĂ©ger sourire dont Cesar accompagnait ses paroles ? Pourquoi parlait-il des dĂ©dicaces ? Les paroles de CĂ©sar n’Ă©taient jamais sans signification et sans intention; il valait donc mieux dĂ©tourner sa pensĂ©e des poĂšmes :
(Virgile)  » De Brindisium tu es parti en campagne contre Antoine, en GrĂšce; si nous Ă©tions revenu seulement deux semaines plus tĂŽt tu aurais pu cĂ©lĂ©brer ici l’anniversaire de la victoire d’Actium, Ă son point de dĂ©part.  »
(Auguste)  » Nous cĂ©lĂ©brons par des jeux troyens le rivage d’Actium. C’est Ă peu prĂšs ainsi que tu as exprimĂ© cette idĂ©e dans l’EnĂ©ide. Est-ce exact ?  »
(Virgile)  » Absolument ta mémoire est admirable  »
(Auguste)  » Il y a peu de choses qui puissent ĂȘtre aussi chĂšres Ă ma mĂ©moire. N’Ă©tait-ce aprĂšs mon retour d’Egypte que tu m’as prĂ©sentĂ© la premiĂšre Ă©bauche de l’Ă©popĂ©e ?  »
(Virgile)  » Tu l’as dit  »
(Auguste)  » Et au milieu du poĂšme, en vĂ©ritĂ© au centre et au sommet, au milieu du bouclier divin dont tu fais prĂ©sent Ă EnĂ©e, tu as placĂ© l’image de la bataille d’Actium.  »
(Virgile)  » Oui c’est bien ce que j’ai fait. Car la journĂ©e d’Actium Ă©tait le triomphe de l’esprit romain et de sa morale sur les forces tĂ©nĂ©breuses de l’Orient, la victoire sur le sombre secret qui avait presque failli s’emparer de Rome. C’Ă©tait ta victoire Auguste.  »
(Auguste)  » Connais-tu le passage par cĆur ?  »
(Virgile)  » Comment le devrais-je ? Ma mĂ©moire n’est pas Ă la hauteur de la tienne.  »
HĂ©las aucune illusion n’Ă©tait possible; les regards d’Auguste Ă©taient dirigĂ©s vers le coffre au manuscrit, il les tenait fixĂ©s sur le coffre; oh il n’y avait pas Ă se faire d’illusions, il Ă©tait venu lui enlever le poĂšme. Et Auguste en souriant se repaissait de son effroi.
(Auguste)  » Comment, tu connais si peu ton propre ouvrage ?
(Virgile)  » Je ne connais pas le passage.  »
(Auguste)  » Alors, il me faut une seconde fois rassembler ma mĂ©moire, j’espĂšre que j’y parviendrais.  »
(Virgile)  » J’en suis persuadĂ©  »
(Auguste)  » Eh bien, nous allons voir :  » Mais au milieu du bouclier se tient CĂ©sar Auguste, dirigeant la bataille navale des peuples italiques, qui…  »
(Virgile)  » Pardonne, ĂŽ CĂ©sar, ce n’est pas cela; le vers commence par :  » les flottes armĂ©es d’airain « .
(Auguste)  » Les navires d’airain d’Agrippa ?  » CĂ©sar Ă©tait visiblement irritĂ©.  » Toujours est-il que la cuirasse Ă©tait une bonne invention, elle Ă©tait mĂȘme dans une certaine mesure un coup de maĂźtre d’Agrippa et il a dĂ©cidĂ© de la bataille… Ainsi ma mĂ©moire a Ă©tĂ© dĂ©faillante; maintenant je me rappelle.  »
(Virgile)  » Puisque tu formais le centre de la bataille et du bouclier, ta personne est Ă©galement placĂ©e au milieu du vers, il importait qu’il en fut ainsi.  »
(Auguste)  » Lis moi les vers.  »
Lire ? Sortir les manuscrits qui intĂ©ressaient CĂ©sar, qui se livrait Ă un jeu vraiment cruel avec lui ? Comment soustraire les manuscrits Ă un pareil complot ?…..
(Auguste)  » Commence mon Virgile j’Ă©coute.  »
(Virgile)  » Ne veux-tu pas t’asseoir lĂ prĂšs de moi, car il me faut rĂ©citer Ă©tendu puisque tes mĂ©decins m’ont dĂ©fendu de me relever.  »
Dixit Blanchot : « Le poĂšte latin fut aussi le poĂšte dâune civilisation Ă son terme. Si lâĂtat dâAuguste Ă©lĂšve la souverainetĂ© de Rome et les valeurs que reprĂ©sente cette souverainetĂ© Ă leur plus haute expression, il y a, dans lâĂ©crivain romain qui pourtant soutient de son poĂšme le grand empire et le fonde en antiquitĂ© et en beautĂ©, on ne sait quelle harmonieuse faiblesse, quelle nostalgie dâun autre Ăąge qui, sans troubler sa limpiditĂ©, lâouvre a des doutes prophĂ©tiques. Dâun cĂŽtĂ©, lâempire universel qui commence, et la paix, la grande paix dâAuguste. De lâautre, le plus grand poĂšte de Rome et, comme Rome, toujours liĂ© Ă la terre, et liĂ© a Rome, Ă son principe et Ă son chef par la cĂ©lĂ©bration de ses chants Rien la qui ne signifie la soliditĂ© des choses humaines et lâassurance dâun art vouĂ© Ă lâĂ©ternel. Pourtant, et non seulement dans lâEglogue cĂ©lĂ©brĂ©, mais dans la lumiĂšre qui traverse beaucoup de ses vers, se laisse pressentir lâapproche mystĂ©rieuse de la fin. » (LV)