Ce texte fait suite, avec quelques autres, à une premiÚre tentative, il y a quelques années.
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Une chose particuliĂšrement frappante (pour moi tout du moins) lorsquâon se promĂšne ou rĂ©side dans les citĂ©s italiennes, c’est leur fonctionnalisme exacerbĂ©.
Je mâexplique. Lorsque je lis Diabolik, par exemple, dont jâaime la longĂ©vitĂ© nostalgique, je trouve une illustration de ce que je voudrais dĂ©crire (tout comme je le trouvais dĂ©jĂ dans les manuels scolaires, mais aussi, pourquoi pas, dans les textes de Calvino, je pense Ă Marcovaldo). Reclus dans leur refuge secret, Diabolik et Eva Kant lisent le journal, Ă©coutent la radio, regardent la tĂ©lĂ©, ils Ă©chafaudent de nouveaux plans pour sâemparer de bijoux, jouissent du luxe de leur train de vie et sâaiment. Le commissaire Ginko, sur la brĂšche en permanence, sâĂ©chine Ă vouloir capturer le criminel, en vain. Les deux ennemis semblent pourtant se respecter, tant ils sont le miroir lâun de lâautre, les deux visages dâune mĂȘme humanitĂ© (Eva Kant Ă©tant opposĂ©e Ă Altea).
Les aventures se dĂ©roulent dans un pays imaginaire de lâEurope occidentale. Tous les noms, toutefois, sonnent Ă©trangement germains. Les grandes villes sont Clerville, Ghenf, Burg, Beden…
On reconnaĂźt facilement lâItalie toutefois, plutĂŽt celle du nord (d’ailleurs Paris, Marseille, sont dĂ©signĂ©es comme modĂšle par les auteurs) : il y a la mer, les montagnes, les forĂȘts. Et les villes. Les villes, les immeubles, le systĂšme de voirie, sont ceux de la ville moderne italienne. On croit parfois reconnaĂźtre les nouveaux quartiers, fascistes et post-fascistes, de Turin/Milan, Rome, GĂȘnes.
Cette ville Diabolik, cette ville reprĂ©sentĂ©e, ce modĂšle de ville, ainsi, est celui de la ville italienne typique. En quoi cette ville reprĂ©sente-t-elle un dĂ©cor urbain aussi fantasmĂ© que rĂ©el, comment font ses habitants, pourtant de chair et dâos, pour y Ă©voluer, travailler, vivre ?
La ville italienne est une ville-modÚle, une ville générique : en elle, les choses sont claires.
Les lieux de pouvoir (mairie, prĂ©fecture, questure) cĂŽtoient les lieux dâart et culture (bibliothĂšque, musĂ©es, thĂ©Ăątre, cinĂ©ma), les Ă©coles et facultĂ©s se juxtaposent aux hĂŽpitaux, aux cimetiĂšres. Les bus et les mĂ©tros relient les points nĂ©vralgique, les voiries portent tout cela. Il y a des boulevards et des places, des lungomare, des centri storici, des parcs.
On va au restaurant, on va Ă lâopĂ©ra, on va manger une glace en bord de mer. On achĂšte son journal au kiosque sur la place, on prendra peut-ĂȘtre le trolley pour un apĂ©ritif en ville, Ă la tombĂ©e ju jour on se retrouvera dans la grandârue pour la passeggiata.
Les deux derniers paragraphes semblent idiots. On me dira que toutes les habitants de toutes les villes du monde, en Occident ou ailleurs, vivent ou peuvent vivre les mĂȘmes choses.
Je ne sais pas comment dire plus simplement : la ville italienne est organisĂ©e autour de ses fonctions claires ; en somme lâItalie et lâItalien sont simples â et cela nâempĂȘche nullement la complexitĂ© des Ă©lĂ©ments qui en composent lâhistoire et les soubresauts â cela ne se veut pas un jugement nĂ©gatif ou moqueur.
Ceci mâĂ©voque notamment, dans le caractĂšre italien, lâabsence dâironie ou, dit autrement, lâexcĂšs dâironie qui cumule en arrogance dans lâesprit français, qui empĂȘche finalement une saine et ingĂ©nue ouverture Ă lâaltĂ©ritĂ© (la curiositĂ©).
Peut-ĂȘtre en premier lieu parce quâune grande partie des villes sont finalement relativement modernes (pensons Ă la Rome en chantier des films nĂ©orĂ©alistes, ou chez Pasolini ou Moravia) ; ensuite aussi peut-ĂȘtre parce quâelles sont toutes le fruit de la mĂȘme idĂ©ologie (post-fasciste & dĂ©mochrĂ©tienne) câest-Ă -dire au mĂȘme catalogue de formes, comme des figures imposĂ©es.
Il y a bien sĂ»r les contraintes locales, la mer, la montagne, ou les ruines romaines, mĂ©diĂ©vales, baroques, et il nây a peut-ĂȘtre mĂȘme que ça, mais lorsquâon se promĂšne par exemple dans les villes du sud, dĂ©veloppĂ©es paradoxalement plus rĂ©cemment, et si lâon compare les plans, ou mieux, si on en Ă lâoccasion, si on se promĂšne par exemple Ă Pescare, Ă Bari, Ă Catane, Ă Crotone, Ă Tarente, Ă Potenza, Ă Ascoli Piceno, Ă Sassari, Ă Teramo, A Vibo Valentia… on ne sera pas surpris de se retrouver, coĂ»te que coĂ»te, dans la mĂȘme ville italienne.
Ce qui dâailleurs confĂšre Ă lâensemble du pays une unitĂ©, malgrĂ© son dĂ©ploiement sur les latitudes, et par-devers ses difficultĂ©s Ă se penser comme vĂ©ritable Ă©tat-nation.
Il y a une rationalisation des espaces, qui nâest pas totalement assimilable Ă lâindistinction des espaces, propre Ă la gestion capitaliste de la ville dont pourtant ils sont le jeu ; les lieux sont moins interchangeables quâils sont dĂ©diĂ©s, ou dĂ©vouĂ©s, tel des monuments ; ils ont un usage prĂ©cis. Il nây a pas de brouillage des pistes et, mĂȘme sâil est facile dâerrer ou de se perdre, ce ne sont pas des lieux du nomadisme ; une logique constitutive, organique, tient lâensemble, et câest je crois la mĂȘme qui unie mille dialectes en une langue, mille saveur en une cuisine, mille visages en un peuple, et mille pays en un seul quâon nomme lâItalie.