Quelle ironie : j’écris quelques-unes de ces lignes à l’Imec, où je serai quelques temps, Imec, lieu de mémoire s’il en est.
Je pensais parler d’un territoire, et c’est un peu le secret de ces textes, parler de la manière dont une société se forme, devient communauté dans l’enceinte de l’expression de sa souveraineté. Ça parle donc des ouvriers et de mon père, mais aussi de ma mère et de ma famille ; je pensais être assez aguerri du point de vue conceptuel (sur territoire, communauté, politique, et pour tout dire, cénologie), mais également assez éloigné des sentiments les plus personnels pour en saisir le tranchant ou l’humide avidement, pour ne pas dire objectivement.
J’avais peut-être oublié que dans la faim, le corps est en jeu.
Mais je réalise ce jour, à l’Imec, que je pourrais aussi bien parler de mémoire. Mémoire des lieux, mémoire des gens. Mémoire des lieux, mais ce n’est pas un territoire, et mémoire des gens… pas une biographie.
Est-ce que je vais y parvenir.
Quelle ironie, 2 : mon frère m’apprend, alors que je suis toujours à l’Imec, à me débattre entre le pôle territoire te le pôle mémoire (et si la mémoire était un territoire dans l’ordre du symbolique, me demandé-je incidemment ?), mon frère m’apprend qu’il est à Dieulefit, et qu’il y a croisé N., la secrétaire de l’usine, un autre bras droit de mon père, une alliée fidèle de nous tous, et qui, elle, n’a jamais trahi ni mon père, ni ma mère.
Nous en parlons, de cette coïncidence. Nous évoquons les noms, les trajectoires, nous nous mettons à jour. Alors je lui dis : j’ai besoin que tu m’aides ; pour ne pas dire de bêtises, d’une part, et surtout pour compléter ma mémoire défaillante. Défaillante non parce que j’aurais oublié telle ou telle chose, mais parce que je n’en ai pas été informé, ou n’ai pas voulu l’être. La mémoire est toujours sélective.
Comme tout texte objectif est forcément subjectif.
On va bien voir si, à deux, nous parvenons à y parvenir.
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