S’il y a un domaine où les classifications sophistiquées sont tout aussi éphémères qu’inutiles, c’est bien en art. On le savait déjà. Mais c’est encore plus frappant avec la musique populaire depuis la fin des années 40.
Alors nous serions ici dans du post-punk. Ce qui ne veut désigne pas grand chose. Les deux raisons qui font sauver ce disque, c’est d’une part, que John Peel lui-même l’a sauvé avec tout son groupe, comme l’un des plus méritoires efforts artistiques du moment. (Dans les années 80, tout effort artistique étant méritoire, faut-il en convenir.)
D’autre part, c’est Mark E. Smith, génial acupuncteur. Nous sommes dans la musique anglaise, dans ce qu’elle a de plus… punk, c’est-à-dire rock’n’roll. C’est-à-dire adolescent. Plus… plus un quelque chose de génial qui veut dire, malgré les angles, on teste les arrondis.
Malgré la noirceur de ce paysage industriel, on tente une percée de mystère.
Malgré la simplicité de l’attitude qu’on se donne, on montre qu’on est aussi en recherche d’une forme pérenne d’ingénuité.
On note avec étonnement quels liens on tisse avec tel autre obscur, Can (I am Damo Suzuki), et quels liens nous mènent ici (voyons le Blues Explosion, Polly Jean Harvey, par exemple). Et plus étrangement encore avec une certaine transe (What you need), un certain rap (Petty (thief) lout), une certaine electronica (L.A.).
Mais il ne faut jamais réduire un morceau ou un texte à des comparaisons. Tâchons de l’aborder de face.
La voix : jamais apprêtée, parfois peu compréhensible ; le rythme toujours en train de se faire ; la mélodie, rythmique elle aussi, ardente pour le flow, nécessaire.
Une certaine idée de ce qui étincelle : peut-être cette idée de grâce réservée, ce paysage terrible qui amène aussi l’empathie, sinon, quoi, la sérénité ?
On sait d’où l’on vient (Mansion) et on y retourne (To NK roachment : yarbles). On trouve rarement une position aussi bien campée dans un disque, on est à la croisée des chemins.
Il ne faut guère de temps, paradoxalement, pour entrer dans ce chaos calme, mais il en faut encore moins pour suspecter qu’on est arrimé pour de longues dérives sonores.
Oui c’est un disque punk, mais en ce cas, punk veut tout simplement dire ce qui n’est peut-être dit simplement par des mots. Et par la musique seule. Mieux vaut se taire que de tenter de décrire ce grand texte. Alors fermons-la.