En 2000, au hasard de la chine, dans une librairie de Grenoble, je débusquais une obscure revue littéraire suisse, Norias, je crois qu’elle s’appelait, qui avait traduit quelques articles de Camilo José Cela dans l’un desquels il évoquait cet auteur, pour moi alors méconnu, Carlos Futuna. Celui-ci avait, selon Cela, publié une nouvelle, dans une autre revue, argentine celle-là, qui l’avait profondément marqué et touché. Les pages étaient pour l’auteur digne d’un Pessoa, d’un Tabucchi, je cite « esta herida deliciosa alimentada de potente melancolía ». La nouvelle s’intitulait Jovem.
Intrigué, je fis plusieurs recherches dans les bibliothèques et les bibliographies sur cet auteur, mais sans succès. Quand internet est devenu notre unique source de connaissance et d’information, je tentai à nouveau d’en savoir plus, mais toujours en vain… il n’y avait pas, alors, sur internet, de trace de Carlos Futuna. Était-ce une erreur de Cela ? Une coquille de la revue ?
J’ai conservé dans un coin de la tête le nom de ce mystérieux auteur, alors que je n’avais pas poussé plus loin mes investigations. Ce n’est que vers 2013, une dizaine d’années après, quand je rencontrai mon éditeur, Benoît Virot, qui est comme chacun sait bibliovore, et doté d’une incroyable mémoire (contrairement à moi) pour ce qui concerne les auteurs et les titres, que celui-ci me certifia que non seulement il avait déjà lu ce nom quelque part, mais qu’il avait probablement eu entre les mains, à Buenos Aires, un exemplaire de l’un de ses petits recueils. L’auteur existait bien, c’était peut-être bien le même que celui dont parlait Cela, mais cela ne résolvait pas plus l’accès au texte : comment maintenant retrouver cette plaquette ?
La manière dont j’ai finalement pu avoir accès à plusieurs textes de Carlos Futuna relève tant de la fable que si j’en dévoilais le détail on mettrait ma parole en doute ; aussi préféré-je passer ces aventures sous silence, qui n’apportent pas de valeur à la qualité intrinsèque du corpus — d’autant que certaines personnes en jeu ne souhaitent pas voir leur nom apparaître pour quelque motif que ce soit. Quoi qu’il en soit, je suis en mesure d’affirmer que les manuscrits que je détiens sont bien de lui.
L’œuvre de Carlos Futuna, auteur argentin né en 1967, émigré en Italie en 1990 est — jusqu’à preuve du contraire — constituée de trois ouvrages :
— un récit plus ou moins autobiographique intitulé Lasagnes (où le personnage homonyme de Futuna est lui-même traducteur), suivi d’un petit ensemble de nouvelles à peu près similaire (deux ébauches d’un même projet ?), Pastis (c’est de Pastis que provient la nouvelle, Jovem, dont parle José Cela). Ces textes décrivent le monde haut en couleur de docks mal situés ;
— un Journal littéraire dont très peu de pages nous sont parvenues, mais dont la qualité est évidente ;
— enfin (jusqu’ici et à ma connaissance) ce drôle de bréviaire poétique qui s’intitule initialement Perpette (Cadena perpetua), mais que j’ai préféré rebaptiser Aujourd’hui la mer.
Homme aux différents métiers (chauffeur de bus, ouvrier portuaire, ouvrier agricole à la fin de sa vie — il taillait les oliviers — et peut-être traducteur), nous savons simplement qu’il s’est installé en Italie, très probablement dans une ville portuaire, et j’ai appris, au détour de rencontres interlopes, qu’il a probablement disparu en 2015. Chose étonnante, ces trois textes sont écrits en italien, dans une langue concise et poétique (je peine à lire l’espagnol, je ne me risquerais pas à le traduire !).